L’Islam au défi du vivre ensemble

par Faouzi Skali

L’accélération des attentats et de leurs modes opératoires, quasi imprévisibles, augurent de notre entrée dans une ère irréversible.

 Rien ne sera plus jamais comme avant et aucune solution ou surenchère politiciennes ne viendra à bout d’un problème profond que nous peinons non pas encore à résoudre mais seulement à comprendre ou diagnostiquer.

 Les musulmans ne peuvent plus désormais se défausser du problème du terrorisme djihadique en en renvoyant la responsabilité sur une politique occidentale largement , il est vrai , responsable du chaos moyen-oriental.

Les occidentaux ne peuvent plus renvoyer du revers de la main ce problème aux seuls musulmans car celui-ci fait désormais partie d’une façon structurelle de leurs sociétés.

 Les politiques doivent accepter d’être à l’écoute de ceux qui veulent laisser la place à l’analyse et à l’intelligibilité de situations qui défient toute compréhension. C’est un processus qui demande du sang froid et du temps et qui doit être engagé d’une façon résolue et organisée.

 Les terroristes ont l’avantage d’avoir construit, sur les cendres toujours fumantes de toutes les tragédies qui se sont enclenchées depuis les guerres du Golf, une idéologie simpliste et aberrante mais qui fonctionne parfaitement.

Qu’avons-nous en face ? Des expressions de déni ; « cela n’a rien à voir avec l’Islam! » ou les confusions habituelles.

 Or cela a à voir avec l’Islam mais non pas de la façon de ceux qui veulent en découdre avec cette religion. Les musulmans doivent prendre leur responsabilité en la matière et ne plus se contenter d’être sur la défensive. Ils doivent, avec d’autres, procéder à une véritable déconstruction du terrorisme djihadiste tel qu’il s’est développé, au gré des blocages sociaux, des guerres civiles et de bombardements, dans le lit idéologique du sectarisme wahhabiste.

 Cela nécessite un niveau d’analyse et de clarification dont on ne peut exiger qu’il soit le fait des pratiquants musulmans ordinaires, même si ceux-ci vivent leur Islam comme une religion de tempérance et d’humanisme spirituel et qu’ils sont comme d’autres , touchés et horrifiés par des attentats et des comportements qui restent pour eux tout autant incompréhensibles.

 Il est donc nécessaire d’entreprendre un vrai travail d’élaboration intellectuelle par lequel il faut engager une guerre de déconstruction idéologique et une capacité d’analyse sociologique et historique, contre les expressions actuelles du Djihadisme. Cela sera aussi une guerre de communication. Or une guerre ne peut se gagner dans l’improvisation et doit en outre se doter d’intelligibilité, d’action et de planification. C’est avant tout à des intellectuels musulmans de s’engager dans cette voie car elle concerne l’avenir de la place de l’Islam et du vivre ensemble au sein, notamment, de sociétés laïques et républicaines.

 Ils pourraient par exemple tenter d’expliquer, face à l’abjection de l’égorgement d’un Prêtre de 86 ans, par quelles distorsions de l’idéologie et de l’histoire les terroristes en viennent à justifier un acte inhumain et barbare qui va à l’encontre des textes scripturaires les plus formels et les plus établis. Ce n’est qu’à l’avènement d’une telle idéologie, aberrante et totalitaire, que les prêtres de Tibhirine (quels que soient leur assassins réels ou supposés) ont pu être assassinés, alors même que ceux-ci avaient vécu en paix pendant des décennies avec leurs voisins musulmans qui estimaient avoir envers eux un devoir religieux de protection et d’amitié.

 La tentation est grande , à défaut de cette exigence d’intelligibilité , de distordre la réalité de cette coexistence pacifique, bien connue de ceux qui l’ont vécue et partagée -même à des époques de grande adversité comme celle de l’Emir Abdelkader- à la lueur des tragédies les plus récentes.

 Il serait bien plus éclairant de relire un opus qui a été écrit, il y a plus d’un siècle et demi, par l’Emir, qui était lui, outre d’être un spirituel, un vrai théologien, et intitulé : « Lettre aux Français ».

Ce livre constitue, en ces temps d’amalgame et d’obscurantisme un véritable traité de savoir-vivre interreligieux. Il nous permettrait de comprendre les ressorts intellectuels et spirituels qui ont poussé l’Emir alors en exil à défendre, les armes à la main, les chrétiens de Damas menacés de massacre par les Druzes. Cela nous mènerait bien loin des ignorances théologiques et des inepties de l’idéologie de ces groupes terroristes et de leurs divagations. 

 Faouzi Skali

Colloque de Fès

L’intolérable entame de l’idéal national

par Nazir Hamad

    Dernièrement, beaucoup a été dit et écrit sur la radicalisation d’un certain courant qui revendique un islam on ne peut plus archaïque. Ce courant fait une lecture particulière du Coran et de la Tradition. Pour cette raison on peut dire que la radicalisation de ce courant n’est pas étrangère à l’islam mais en aucun cas, il ne peut représenter l’islam. Notre journée de l’EPHEP qui a eu lieu le samedi 11 juin a été aussi l’occasion pour nous d’entendre des analyses sérieuses et souvent pertinentes sur le phénomène de la radicalisation et le danger qu’elle représente pour notre démocratie. Tout le monde est d’accord là dessus car nous sommes conscients de la nécessité de faire unité afin de faire face à ce phénomène inquiétant. Seulement à force de se concentrer sur le problème djihadiste, on a tendance à oublier la souffrance de la majorité des musulmans qui vivent dans ce pays et qui ne demandent qu’à se faire oublier. L’expérience clinique avec quelques uns  d’entre eux, souvent assez bien intégrés d’ailleurs, nous fait savoir qu’ils n’arrivent jamais à se sentir confortables et légitimes dans leur identité française. Ils se vivent comme « l’âne dans le tribunal des animaux ». Si les animaux sont malades de la peste c’est qu’il y a un fautif. Tous les fauves avaient avoué avoir dévoré d’autres animaux sans que cela porte à conséquence, mais quand l’âne qui avait avoué avoir tondu dans un pré la largeur de sa langue pour calmer sa faim, le tribunal l’avait désigné comme le coupable. Exagèrent-ils leur malaise ? Peut-être ! Cependant, il nous faut l’admettre, le discours social qui désigne férocement les musulmans n’est pas sans effet ravageur sur eux. J’ai vu des gens bien qui, tel le père de Freud, ont l’impression de ramasser en permanence leur chapeau dans le caniveau ravalant en silence l’humiliation que le discours social inflige à leur origine. Faut-il accuser ? Si oui, qui ?

     Les choses ne sont pas si simples. Si des Français  font des raccourcis dangereux dans leur analyse du djihadisme, cela s’explique par la complexité de ce phénomène. Leur analyse  a tendance à confondre la partie avec le tout faisant fi des sentiments et des sensibilités de la grande majorité des musulmans autant en France qu’en Europe. Ils logent ainsi la fraction djihadiste et l’islam à la même enseigne.

     Les gens ressemblent à ce qu’ils disent, dit-on. Quand un homme politique dit haut « ce que beaucoup de monde pense tout bas », est-il un courageux porte-parole de ses concitoyens ou est-il cet homme ou cette femme xénophobe sans scrupules ? L’homme politique qui réagit aux événements dramatiques en attisant la passion de son peuple  est-il un politicien habile ou un pêcheur en eaux troubles ? On peut multiplier les exemples, mais cela ne fait que pointer l’urgence de cette question, celle qui est escamotée par le faux débat: la démographie française évolue et connaît des mutations sérieuses. Ces mutations touchent directement les repères symboliques et l’imaginaire populaire. Ces mutations questionnent chacun de nous sur l’avenir de ce pays à cause de la présence de l’islam en son sein. Ce n’est plus une présence marginale, l’islam est réellement là. Il se voit et s’entend. Il est la deuxième religion de France. L’évaluation de la population musulmane « varie entre 3,5 et 6 millions selon les méthodes de comptage ». (Figaro Vox, 03/11/2014, Michèle Tribalat)

     La population musulmane française pose d’autres problèmes que ceux que la France a connus avec les Polonais, les Portugais, les Italiens ou encore les Espagnols. Toutes ces populations sont de religion chrétienne, catholique pour la plupart, tandis que la population de religion musulmane amène des difficultés inhabituelles à cause de cette religion et de certaines pratiques parfois sauvages, autant pour les Français que pour les musulmans eux-mêmes. Ceux qui sont dérangés par l’islam ont tendance à faire un raccourci facile entre des pratiques minoritaires dérangeantes et la population musulmane en général. L’islam en France est vu et examiné sous cet angle, et de ce fait le débat est forcément biaisé.

     L’islam ne peut que poser problème parce que la religion est un des repères identitaires majeurs de la constitution d’une nation.

     On a beaucoup écrit et dit sur l’islam et les musulmans. Il y a ceux qui ont écrit pour cracher leur haine sur les arabo-musulmans, tout en dédouanant la France de toute pratique discriminatoire ou de toute attitude raciste à l’égard de ses immigrés. Le Premier ministre Valls a fini par admettre l’existence de la discrimination dans sa fameuse phrase qui rapproche ce qui se passe en France de ce qui se passait sous la politique de l’apartheid en Afrique du Sud. On pourrait tout aussi bien écrire pour accuser la France d’être à l’origine de tous les malheurs de la population musulmane  dédouanant ainsi cette dernière de toute responsabilité dans la gestion de son sort. Ecrire de la sorte ne fait qu’illustrer l’étroitesse de l’esprit de l’auteur. Parler d’un problème sérieux nous invite à maintenir une position intellectuellement honnête. C’est normalement ce qu’on attend d’un chercheur capable de se protéger de sa subjectivité, d’autant plus quand cette subjectivité n’est pas de nature à calmer les esprits. Parler d’une affaire qui risque de devenir conflictuelle à moyen ou à long terme, nous invite à ne pas nous laisser aller à une démarche de travail de partisan belliqueux. Les partisans belliqueux ne manquent pas. Il suffit de céder à l’ignorance pour le devenir.

     Pour moi, il y a deux analyses possibles pour parler de l’identité nationale dans le contexte actuel de la vie de ce pays : d’une part celle qui a inspiré le discours de l’ancien Président et de son gouvernement ainsi que celui d’autres responsables politiques, dont l’objet s’inscrit dans des calculs électoralistes irresponsables, et d’autre part celle qui prend en compte la réalité de la France d’aujourd’hui, une France métissée et multiple, afin d’éviter une France communautairement divisée demain.

     Maintenant que des millions de musulmans sont là, citoyens français pour la grande majorité, le mal est déjà fait. Que fait-on de nos musulmans français ? Sont-ils comptables comme une partie intégrante du peuple français et du pays ? Si oui, faisons le pari que cette population saura prendre sa place dans un destin commun qui est l’avenir du pays. Une population de religion différente de celle majoritaire, mais une population capable de s’insérer et d’honorer de leur identité nouvelle. Un discours extrême, le plus bruyant de nos jours, rejette ce pari et de ce fait, il introduit un clivage entre un Nous, les Français de souche, et cette population vouée à ne jamais devenir leur égale. Et voilà le dilemme : que faut-il faire avec ces Français musulmans ?

Ce n’est pas seulement la France, le monde entier connaît cette mutation démographique. Plus aucun pays n’est à l’abri de l’arrivée de nouveaux immigrés sur son territoire, y compris les pays d’origine des immigrés en France. Les murs qu’on édifie pour séparer les pays et les continents apparaissent jour après jour, comme des lignes Maginot qui enferment plus qu’elles ne protègent. Quelle solution a-t-on face à des gens qui risquent le tout pour le tout au nom d’une simple promesse d’une vie meilleure sous d’autres cieux ? Les mers et les déserts sont jonchés de cadavres de ces pauvres individus qui préfèrent mourir plutôt que de vivre sur une terre ingrate, la leur, ou écrasés par des dictatures qui n’ont jamais eu le moindre égard pour eux en tant qu’hommes et citoyens ? Rien ne pourra plus nous protéger de celui qui quitte son pays avec cette seule devise en tête : « Partir vers un ailleurs ou mourir ». Le défi des décennies à venir ne sera pas la protection contre les vagues des immigrés, mais une meilleure distribution de nos richesses afin de fixer les populations pauvres et en souffrance chez eux.

     Un fou, un cynique, un opportuniste, un malfrat trouve de nos jours très vite sa place dans le débat sociétal. Il lui suffit de taper sur l’islam ou de taper au nom de l’islam. Cela fait des rencontres absolument étranges entre un malfrat allemand comme Lutz Bachmann par exemple qui fait descendre des milliers d’habitants (Voir Libération du 23 décembre 2014) dans les rues de la paisible ville de Dresde pour entamer une sorte de croisade contre l’islam, et un malfrat musulman comme Merah par exemple, qui assassine des juifs et des policiers au nom de l’islam. L’un et l’autre sortent de la médiocrité de leur vie pour devenir le temps d’un événement tragique ou médiatique un héros de notre temps. L’un nourrit le discours de l’autre, et ils légitiment mutuellement leurs actes hostiles. L’un mobilise contre l’islam et l’autre légitime le premier dans le supposé combat qu’il mène.

     Lutz aussi malfrat qu’il puisse être, entre dans le débat de la même manière qu’un homme politique respectable. L’un comme l’autre n’a plus besoin de programme politique ni d’analyse sérieuse de la crise socio-économique, ni de vision lucide de l’avenir, il leur suffit de désigner un coupable, l’islam en l’occurrence, pour rencontrer des échos favorables chez leurs concitoyens. On peut tout dire en toute impunité au sujet de ces populations pauvres. Cette impunité leur vient du silence complice de beaucoup de responsables politiques et d‘intellectuels de tout bord. Certains ont troqué leur révolte contre le capitalisme pour une révolte contre le danger de l’islam et les étrangers. Les psychiatres et les psychanalystes verront bientôt des fous qui se prennent non plus pour Napoléon, mais pour un Djihadiste. Et il y aura toujours des gens qui vont voir en eux la figure maudite de l’islam.

     Peut-on engager ce débat sur l’immigration et l’islam sans lui donner cette tournure ridicule ?

     Pour réussir un débat, il faut penser à la nation et pas aux élections. Il faut accepter l’entame de l’idéal identitaire français, et non pas le lever comme un étendard. Et enfin, il faut responsabiliser le discours afin d’éviter la diabolisation de toute une partie de la population et notamment celle qui œuvre à s’assimiler et à vivre en paix.

     Dans l’histoire d’un pays démocratique les élections peuvent surprendre. Les pires candidats comme les meilleurs ont leur chance d’être un jour élus. Tout discours a sa place. Récuser un discours au nom des valeurs qu’on défend ne l’annule pas pour autant. Ce même discours peut revenir de manière inattendue, soutenu parfois par ceux qui l’ont récusé ou qui ont souffert de ses effets. Qui aurait pensé, il y a une vingtaine d’années, que la classe ouvrière, avec son discours de lutte de classes, allait, pour beaucoup de ses membres, adopter un discours extrémiste inspiré de la faction politique la plus nauséabonde ? Qui aurait encore imaginé qu’une partie de la droite républicaine, une droite responsable qui a souvent tenu un discours équilibré afin de sauver la démocratie des courants extrémistes, allait se laisser séduire par l’extrême ? Qui pouvait imaginer après tant d’hommes historiques que la France a connus que des candidats à ce poste suprême que représente la présidence de la République allaient adopter sciemment un discours démagogique et populiste instillant un message de division et de haine ?

     Dans le calcul politicien, l’important c’est de gagner la bataille de l’opinion publique. Être élu ou réélu vaut bien une messe. Une messe satanique qui exige des sacrifices humains. De nos jours, de nombreux candidats aux élections locales ou nationales se révèlent partisans de cette pratique sacrificielle. Pour en arriver là, il fallait déjà sacrifier ce qui fait la valeur de chaque fonction et surtout de la fonction présidentielle. Si chaque fonction a ses prérogatives, il n’en reste pas moins que la première de ces prérogatives est de maintenir coûte que coûte, une autorité morale dont le souci majeur consiste à sauver le lien social chaque fois qu’un discours vient le mettre à mal.

 Ce discours nous laisse face à un dilemme : Comment devenir français et être toujours à la hauteur ? La réponse : être plus français que les français. Mais pour ce faire, à quoi faut-il qu’on renonce ? Si tous les immigrés étaient Einstein ou le pétro dollar, l’idéal serait forcément de leur côté. Tous les pays leur dérouleraient le tapis rouge. On peut se moquer de ces émirs foncièrement indésirables en tant que  « personnages ou hommes politiques », mais on fait avec cette sagesse populaire qui dit que si tu n’aimes pas les riches, tu as tort de ne pas aimer leur argent. Mais si l’immigré est cet homme lambda qui cherche à s’installer sur une nouvelle terre, l’idéal n’est plus de son côté. Beaucoup d’immigrés vivent plus ou moins marginalisés. Cela ne pose aucun problème pourvu qu’ils restent tranquilles. Les partisans du discours discriminatoire les regardent d’en haut, car par leur marginalité, ils confirment leurs hôtes dans la supériorité de leur race, de leur classe ou de leur civilisation. Cela est vrai sous tous les cieux. Un Américain blanc même marginal, se juge supérieur à un Américain noir même cultivé. Les Arabes ont leurs Arabes, les Noirs ont leurs Noirs et ainsi de suite. Le problème pour l’immigré commence quand il cherche à vouloir faire sa place. Même éducation, même diplôme, même culture, mais pour lui, ça ne sera jamais tout à fait ça. Quand on est né de parents immigrés avec un nom qui n’a pas le vent en poupe, comme les noms arabes de nos jours, il y a lieu de croire qu’on est condamné à rester français de deuxième, troisième génération et on se demande si l’on sera habilité, un jour, à devenir français tout court.

     Devenir français pour un étranger et pour ses enfants n’est jamais sans conséquences. Il y a un passage d’un bord à l’autre. Ce passage est d’abord imaginaire, car il est guidé par la nature de l’idéal que le devenir français implique. Un exemple type est celui de l’électorat franco-libanais. L’Express nous a relaté le 26 mais 2014 que les électeurs franco-libanais votent majoritairement pour le Front national. Parmi eux, 24,5 % ont été séduits par Marine Le Pen ; 20,8 % ont choisi l’UMP et 13,97 % ont eu une préférence pour le PS. Cette répartition des voix n’est pas étonnante en soi. J’ai eu l’occasion de discuter avec des personnes qui ont choisi Marine Le Pen, et j’ai entendu parmi d’autres arguments, que ces électeurs sont déçus de voir des petites gens accéder facilement à la nationalité française. Ils ont du mal à accepter d’être comparés à des Africains, des Nord-Africains ou des Asiatiques devenus français au même titre qu’eux. A leurs yeux, l’idéal français n’est plus celui dont ils ont rêvé. Pour eux, obtenir la nationalité française n’offre plus rien de prestigieux qui les distingue des autres.

     Poser un idéal de la sorte va de pair avec le sentiment d’élection. Si la France accorde la nationalité à quelqu’un, c’est qu’elle le reconnaît comme honorable. Un prestige s’offre aux gens prestigieux. Si ce n’est plus le cas, c’est que quelque chose ne va plus. L’idéal français ne peut pas être bradé pour tomber finalement dans les bazars ou les marchés aux puces. Voter pour l’extrême, c’est d’abord le choix d’un discours. L’idéologie discriminatoire contre les étrangers redonne, à leurs yeux, tout son éclat à un prestige terni. La politique discriminatoire du Front national est vécue par eux comme une nouvelle reconnaissance. Ce discours n’est pas raciste, il est plutôt un redressement national et une volonté de séparer le bon grain de l’ivraie. L’électeur libanais partage sans doute la vision de nos intellectuels français pleurant aussi un idéal français qui perd de son éclat et qui de ce fait, les banalise en tant que Français d’origine étrangère.

     Etre élu par la France, même si au fond, nous savons que nous ne nous débarrassons pas facilement de l’idée que nous avons de nous-mêmes, cela donne l’impression de prendre une distance avec notre groupe d’origine. Et si par malheur, cette idée que nous avons de l’origine est à l’image du sentiment de mésestime de soi, on ne trouve plus d’endroit pour échapper aux semblables.

     Cette difficulté que l’idéal national secrète ne s’arrête pas là. Le naturalisé, monsieur ou madame lambda, est amené parfois à se confronter à un impossible, prouver qu’il est français comme tous les autres. Quel gage faut-il donner aux Français pour les convaincre qu’un immigré lambda mérite sa place parmi eux ? Si chacun d’eux, parce que Français de souche, s’auto-désigne garant de l’idéal français, ils deviennent forcément difficiles à satisfaire. Chaque immigré naturalisé va se trouver dans la position inconfortable d’Abraham face à l’injonction de son dieu. Est-il prêt à sacrifier ce qu’il a de plus cher comme témoignage d’amour ? Sacrifier Isaac.

     On a vu des immigrés qui se sont déshabillés de tout ce qui les rattachaient à une autre culture ou à une autre origine. Ils ont changé de nom, ont coupé définitivement avec leurs anciens semblables et se sont acharnés à éliminer de leur langage tout accent de nature à dévoiler leur origine étrangère. Ils sont allés loin dans le renoncement à leur ancienne appartenance pour coller entièrement à l’image qu’ils se faisaient d’un Français idéal qu’ils cherchaient à incarner. Que peut-on donner de plus pour coller à l’idéal  national qui nous échappe en permanence ?

     Voilà pourquoi le discours raciste rassure. Il rassure dans la mesure où il laisse croire qu’il incarne l’idéal national et veille à ce que cette place reste réservée aux heureux élus. Plus encore, il mobilise tous les déçus, les frustrés et les laissés-pour-compte. Quand ce discours marche, on s’y réfère comme un espoir certain. Je n’ai pas de travail, je vote pour les théoriciens de la discrimination. Mon voisin arabe me déplaît, je vote pour eux parce que leur discours  me laisse croire que mon voisin haïssable sera automatiquement expulsé, etc.

     Si on accepte cette hypothèse, il devient évident que les djihadistes fonctionnent dans le même état d’esprit. Ils sont pris pareillement dans un discours qui fait d’eux des élus, non pas d’un chef ou d’un pays mais de Dieu. Ils répondent à l’appel de ce Dieu qui les a élus et les missionne. Ils coupent avec le monde qui les entoure pour se consacrer à lui corps et âme.

     La question qui demeure est : pourquoi un discours marche-t-il et quelles sont les conditions qui lui permettent de mobiliser l’espoir ? La réponse me paraît simple. Ce n’est pas forcément grâce à ceux qui le prêchent qu’un discours se répand, il se répand plutôt grâce à ceux qui s’en inspirent sous prétexte de le combattre. Depuis une bonne trentaine d’année, gauche et droite républicaine se sont combattues sous l’arbitrage de l’extrême droite. La gauche jouait l’extrême droite contre la droite, et celle-ci un peu anémique, empruntait les thèses de l’extrême droite pensant ainsi l’appauvrir en la dépossédant de ses arguments. Le résultat était attendu, on ne discrédite pas l’autre quand par manque d’imagination et d’audace, on lui emprunte ses thèses sous prétexte de les rendre plus civilisées.

                            Nazir Hamad

Colloque de Fès

Les Nouveaux Territoires de l’Identité :
La Fabrication du Radicalisme

Premier Colloque Interdisciplinaire
Les 17-18-19 février 2017 à Fès

Une partie de la jeunesse est à présent tentée par le choix d’un idéal identitaire extrême aux conséquences violentes et destructrices, qu’il s’agisse de cette nouvelle aspiration au martyr au nom d’une certaine interprétation de l’islam ou de l’adhésion à un nationalisme ombrageux et autoritaire hostile à toute forme d’immigration. Dans tous les cas, l’exaltation de l’idéal religieux ou national aboutit à la haine et au rejet de l’autre, sinon à son élimination physique.

Quelle est la cause de cet égarement ?

S’il est vrai qu’avec Freud dans Psychologie des Masses et Analyse du Moi le sujet ne trouve ordinairement de point d’appui pour se construire que dans un trait d’identité qui le virilise et le rattache à la tradition de ses pères, force est de constater que cette jeunesse ne semble pas avoir bénéficié de la grâce de cette transmission.

S’agit-il par exemple pour nous de mieux nommer les blessures de la colonisation peu prises en compte par nos sociétés contemporaines ou de reconnaître l’oubli dans lequel sont tenues la langue et la culture d’origine pour les petits-enfants d’immigrés ?

S’agit-il de prendre acte d’une mondialisation économique qui laisse sur le carreau dans les banlieues, dans les campagnes, en Europe et au Moyen-Orient une partie de la jeunesse et ne lui offre d’autre alternative que le choix du fondamentalisme religieux ou du nationalisme, si la seule valeur d’échange réduisant chacun au pur statut d’objet marchand ne se prête pas à faire idéal?

Le choix du nationalisme populiste ou du fondamentalisme religieux n’est-il pas une réponse symptomatique au péril symbolique qui semble s’abattre sur nos sociétés d’Orient ou d’Occident ?

A ce titre il est curieux de constater que l’appui pris sur les traditions autoritaires, voire fascistes, de l’Europe et sur les interprétations littéralistes du Coran issues du wahhabisme semble répondre à un même désarroi.

Les sociétés démocratiques européennes qui ont réussi à vivre depuis 1945 dans un contexte politique où la citoyenneté n’impliquait plus l’adhésion à un trait d’identité unilatéral et spécifique sont-elles encore capables de s’adresser aux jeunes avec un discours neuf qui revisite l’héritage républicain de la laïcité et qui redéfinisse les conditions d’une coexistence des identités dans la reconnaissance réciproque de l’altérité, pour refaire lien social et parer aux effets de la radicalisation, religieuse ou politique ?

Cette recherche de l’altérité pour elle-même est aussi au sein de l’islam l’une des caractéristiques du mouvement soufi. Voici ce qu’écrivait l’un des plus importants de ses maîtres, Ibn ‘Arabî : « Mon cœur est devenu capable d’accueillir toute forme. Il est pâturage pour les gazelles. Il est abbaye pour les moines. Il est temple pour les idoles, et la Ka’ba pour ceux qui en font le tour, il est table de la thora et aussi les feuilles du Coran. »

Afin de penser ce lien essentiel entre identité et altérité, nous vous invitons à un congrès à Fès. Nous nous y retrouverons non seulement  avec des psychanalystes, des historiens, des philosophes, des sociologues, des journalistes et des hommes politiques engagés sur ces problématiques, mais aussi avec des personnalités marquantes du mouvement soufi.

Organisateurs

Faouzi Skali, Charles Melman, Nazir Hamad, Oussama Cherif Idrissi El-Ganouni, Marie-Christine Laznik, Pierre-Christophe Cathelineau, Anne Videau, Isabelle Tokpanou, Anne Cathelineau.

Intervenants pressentis

  • Leili Anvar, Chercheuse, maître de conférences en langue et littérature persanes, journalistetraductrice
  • Rachid Arhab, Journaliste, membre duConseil supérieur de l’audiovisuel (CSA Paris) 2007-2013
  • Ghaleb Bencheikh, Ecrivain, islamologue, animateur de l’émission « Islam » sur France 2
  • Yazid Ben Hounet, Anthropologue, Chargé de recherche au CNRS, Centre Jacques Berque (Maroc)
  • Hourya Benis Sinaceur, Docteur en philosophie (ENS), directrice de recherche émérite Institut d’Histoire et Philosophie des Sciences et des Techniques, Paris
  • Abdelhai Ben Ghazi, Psychanalyste, Professeur de psychologie clinique et pathologique à l’Université de Fès
  • Fethi Benslama, Psychanalyste, Professeur de psychopathologie clinique à l’Université Paris-Diderot, membre de l’Académie tunisienne
  • Rémi Brague, Philosophe, spécialiste de la philosophie médiévale, Professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne et à la Ludwig-Maximilian Universität de Munich
  • Zakia Daoud, Journaliste et historienne franco-marocaine
  • Christine Goemé, Journaliste à France Culture
  • Abderrahim Hafidi, Politologue, Professeur à l’Université, producteur et animateur de l’émission L’Islam France 2
  • Serge Hefez, Psychiatre des Hôpitaux, responsable de l’Unité Thérapie familiale, Service psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la Salpêtrière, psychanalyste
  • Gilles Kepel, politologue, spécialiste de l’islam et du monde arabe contemporain, Professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po).
  • Bariza Khiari, Sénatrice de Paris,  Vice-présidente du Sénat 2011-2014, membre du groupe sénatorial d’amitié France-Maroc, présidente de l’Institut des cultures d’Islam
  • Jack Lang, ancien ministre, Président de l’Institut du Monde arabe
  • Pierre Lory, Directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, chaire de Mystique musulmane VeSection Sciences religieuses
  • Marie Miran-Guyon, Historienne, anthropologue, maître de conférences à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales
  • Marie-Rose Moro, Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent Université Paris-Descartes, Chef de service, Directrice de la Maison de Solenn, psychanalyste
  • Samuela Pagani, Enseignantchercheur en langue et littérature arabe. Université de Lecce (Italie)
  • Victor Pallejà de Bustinza, Philosophe, Professeur associé à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone (Espagne)
  • Edwy Plenel, journaliste, fondateur du site Mediapart
  • Bahjat Rizk, écrivain, intellectuel, Attaché culturel à la Délégation du Liban auprès de l’Unesco
  • Zeev Sternhell, Historien, spécialiste de l’idéologie fasciste en France. Professeur de science politique à l’université.
  • Benjamin Stora, Professeurà l’Université Paris 13, Inspecteur général de l’Éducation nationale, Président du Conseil d’orientation de la Cité nationale de l’Histoire de l’immigration.

Organisateurs-Intervenants :

Faouzi Skali, écrivain, Dr en anthropologie, ethnologie et sciences des religions, Fondateur /directeur du forum Une âme pour la mondialisation, du  Festival de Fès des musiques sacrées du monde et du Festival de la culture soufie ;  Charles Melman, ancien-psychiatre des hôpitaux, psychanalyste, fondateur de l’ALI, Doyen de l’EPhEP ; Marc Darmon, psychiatre, psychanalyste, Président de l’ALI ; Marie-Christine Laznik, psychanalyste, psychologue clinicienne, Dr en psychologie ; Oussama Cherif Idrissi El-Ganouni,  ingénieur polytechnicien, Dr en mathématiques appliquées ; Nazir Hamad, psychanalyste, Dr d’État en psychologie clinique ; Anne Videau, Professeur à l’Université Paris-Ouest Nanterre-La Défense, Directeur-conseil de l’École Pratique des hautes Études en Psychopathologies (EPhEP) ; Pierre-Christophe Cathelineau, psychanalyste, Docteur en philosophie, psychologue clinicien ; Isabelle Tokpanou, psychiatre, psychanalyste ; Anne Cathelineau, psychanalyste, secrétaire du Centre International de Dialogue et de Recherche sur les Identités Subjectives et Sociales (C-IDRISS)

Intervenants pressentis membres de l’Association lacanienne internationale 

  • Roland Blatmann, ancien Ambassadeur et diplomate
  • Claire Brunet, psychanalyste, Docteur en philosophie, professeur à l’ENS Cachan, ancienne élève ENS
  • Marcel Czermak, psychiatre des hôpitaux, Honoraire Centre hospitalier Ste Anne, Vice-Doyen de l’EPhEP, résident Essaouira
  • Pierre-Yves Gaudard, Docteur en anthropologie, Université Paris-Descartes, psychanalyste, Directeur des enseignements de l’EPhEP
  • Souad Hamdani, psychanalyste, formation en pédiatrie, Rabat
  • Saloua Hamdani-Durand, psychanalyste, Dr en médecine dentaire, Rabat
  • Claude Landman, psychiatre, psychanalyste, Vice-doyen de l’EPhEP
  • Hélène L’Heuillet, psychanalyste, Dr en philosophie, Université Paris-Sorbonne
  • Nathanaël Majster, Magistrat honoraire, administrateur de sociétés
  • Julien Maucade, psychanalyste, SECID, Maison d’arrêt Fleury-Mérogis
  • Louis Sciara, psychiatre, psychanalyste, Médecin-directeur du CMPP Villeneuve-Saint Georges (APSI-Val de Marne)
  • Stéphane Thibierge, Professeur de psychopathologie à l’Université Paris-Diderot Paris 7, agrégé de philosophie (ENS), psychanalyste
  • Jean-Jacques Tyszler, psychiatre, psychanalyste, médecin-directeur du CMPP MGEN Paris, Directeur des enseignements de l’EPhEP
  • Jeanne Wiltord, psychiatre, psychanalyste

Journée de l’EPhEP

Samedi 6 février 2016 – 9 h 30 à 18 h
Centre Sèvres – 35 Bis Rue de Sèvres 75006 Paris

“ Logiques du politique : l’Organon d’Aristote étudié par le biais de son positionnement sur les questions de l’identité ”

La question métaphysique de la permanence de l’être se ramène aujourd’hui à la quête générale parfois violente de l’identité.

Il peut être instructif à cet égard de lire comment l’Organon, l’œuvre d’Aristote, sans le dire, veut traiter logiquement le problème.

Quand Aristote écrit : si A .B et B .C alors A .C, il interroge la possibilité d’une identité pérenne au-delà de la différence des formes, et cela par le biais d’un tiers terme fédérateur.

Peut-on dire comment les passions actuelles de l’identité : multiculturalisme, nationalisme, intégrisme se ramèneraient en dernier ressort à un agencement logique qui, contrairement à la diversité des références religieuses, serait enfin le même pour tous ? Pour ouvrir ce questionnement, retenons comment au XIIe siècle les théologiens des trois religions se sont retrouvés à Cordoue unis sous la bannière d’Aristote.

Les recherches de Freud et de Lacan renouvellent- elles leur effort en introduisant le concept pas moins logique d’altérité, et, du même coup, la place de la femme dans les études sur l’identité ?

Charles Melman

PROGRAMME
9h30 Ouverture
Marie-Charlotte Cadeau,
psychanalyste, agrégée de philosophie
9 h 45
Roger Bruyeron, agrégé de philosophie,
directeur de la collection Philosophie
chez Hermann : « L’identité comme
principe, ou la logique comme instrument
d’émancipation dans la pensée du XIIIe siècle »
10 h 30
Pierre-Christophe Cathelineau,
psychanalyste, docteur en philosophie :
« L’identité pour Aristote :
entre l’Autre et l’Empire »
PAUSE
11 h 30
Hourya Benis Sinaceur, docteur en
philosophie (ENS), directrice de recherche
émérite, Institut d’Histoire et Philosophie
des Sciences et des Techniques, Paris :
« Lecture hégélienne d’Aristote »
DÉJEUNER
14 h 15
Stéphane Thibierge, professeur de
psychopathologie à l’Université Paris
Diderot Paris 7, agrégé de philosophie
(ENS), psychanalyste : « Questions actuelles
sur la psychopathologie de l’identité »
15 h
Hubert Ricard, agrégé de philosophie,
psychanalyste : « Subjectivité philosophique
et identité »
16 h
Charles Melman, psychiatre,
psychanalyste, Doyen de l’EPhEP :
« L’identité subvertie par la logique »

Conclusions

Première rencontre

Dimanche 17 Janvier

Des connaissances et des bleus à l’âme, il est possible que ce soit pour chacun le bilan de la journée, témoignant alors de l’identité des effets d’identités pourtant différentes. Si cette communauté des effets existe, sans doute est-il possible de donner à l’identité son concept, indépendamment donc de ses avatars.

 Je mettrai volontiers cette possibilité au programme d’une éventuelle rencontre à venir.

                                                                                                                                       Charles Melman

Compte rendu de la rencontre :

Les opinions exprimés par les intervenants lors de cette rencontre sont de leur responsabilité et n’exprime pas nécessairement la position de centre IDRISS.

Pétition

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POUR UNE RESPONSABILITE MEDIATIQUE
APPEL D’UN COLLECTIF DE CITOYENS FRANÇAIS ET D’AUTRES PAYS DANS LES CIRCONSTANCES TRAGIQUES QUE TRAVERSE LA FRANCE 

 » PAS EN NOTRE NOM, PLUS QUE JAMAIS RESTONS UNIS « 
___________________________________________________________________________

Nous apportons notre solidarité et notre compassion aux familles et à leurs proches. Les signataires de cet Appel s’inclinent devant la mémoire des victimes des attentats qui endeuillent toute la France et le monde.

Un grand nombre de citoyens, de France et d’ailleurs, dans la diversité de leurs convictions, valeurs, croyances et religions adressent un message aux médias publics et privés pour leur demander de ne plus utiliser l’appellation « Etat Islamique » pour désigner un mouvement terroriste et sanguinaire.

La qualification d’« État », est usurpée et ne correspond pas aux critères de sa définition en droit international public.
De plus, ce n’est pas parce que le mouvement terroriste Daech s’attribue le qualificatif « islamique » que les médias doivent s’empresser de le lui accorder et lui donner ainsi un semblant de légitimité à représenter tous les musulmans. Il convient au contraire de porter attention au fait que les musulmans de France et d’ailleurs se dissocient totalement d’un mouvement dont ils sont souvent les premières victimes.

Malgré l’explication réitérée selon laquelle « on ne fait pas d’amalgame », cette appellation, répétée en boucle, dans tous les médias ne fait que prendre en otage et stigmatiser des citoyens de culture musulmane.

Il convient de ne pas les assimiler à ce mouvement terroriste.

Le matraquage continu de ce type d’appellation entretient une atmosphère délétère et fait, en France comme ailleurs, le jeu de ceux qui veulent monter une partie de la population contre une autre.

En France cette préoccupation ne concerne pas que les français de culture musulmane mais l’ensemble des citoyens français, il en va de la préservation de la dignité de tous, du vivre ensemble , d’une sécurité collective et des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité .
Ce sont ces mêmes valeurs auxquelles adhérent, en pleine conformité avec leur propre spiritualité, les citoyens français de culture musulmane qui ne peuvent être assimilés à des groupuscules dévoyés.

D’une façon globale la réponse ferme à la violence du terrorisme doit être collective, elle concerne des personnes aux multiples origines, aux diverses convictions, qui partagent les mêmes idéaux de paix et de justice.

  • Nous adhérons à la demande déjà exprimée selon laquelle ce mouvement terroriste doit être désigné du seul terme de « Daech » afin d’éviter cet amalgame.
  • Nous appelons toutes celles et ceux qui travaillent dans le monde de la communication – notamment dans les médias, le journalisme politique, la communication des partis, la communication des élus – à ne plus utiliser la formule « État Islamique » mais uniquement l’acronyme « Daech »

La solidarité et la responsabilité de tous, dans le vivre ensemble, est aujourd’hui une question qui concerne l’ensemble de la population française, et l’ensemble des populations, sans distinction.

Cliquez sur ce lien pour signer la pétition

J’étais entre moi et moi-même : « En-je » de l’identité

« J’étais entre moi et moi-même, voilé à moi par moi-même et celui j’aime vraiment n’a jamais cessé d’être ma source et mon esprit ». Ces vers d’un Soufi résument le chemin qu’il faut suivre pour passer des pièges d’une identité illusoire à la réalisation ou la conscience d’une identité spirituelle qui serait le résultat d’un long processus de connaissance de soi. Cette connaissance étant cependant sans fin, l’identité n’étant jamais définitivement établie. La recherche éperdue et passionnelle de l’identité peut rendre fou si celle-ci n’est plus l’objet d’un long et difficile processus de connaissance de soi mais du besoin affectif effréné de « se fixer » quelque part, même en mode illusoire.

Face au désarroi identitaire un marché mondial nous propose des identités toutes faites, prêtes à porter et qui seront d’autant plus attractives qu’elles se baseront sur un schéma simple : mon « moi », individuel ou collectif, se distingue radicalement de tout ce qui est autre que lui, qu’il dénonce et combat. Ce schéma prend une proportion particulière lorsqu’il s’identifie à une identité « prête -à –porter » religieuse qui dispense un arsenal idéologique qui vient sans cesse la rassurer et la confirmer. Il est surprenant qu’une approche religieuse puisse mener vers une libération progressive des pièges du « moi » (« Cherche toi jusqu’à que tu te trouves et quand tu te trouveras quitte toi ! », dit un autre adage), à une ouverture de plus en plus grande à l’altérité et à sa reconnaissance dans celui qui est différent de soi et qu’elle puisse en même temps être l’alibi pour se revêtir des conceptions les plus mortifères et les plus radicalisées de l’identité. C’est une réalité que l’on peut observer dans toutes les religions et en particulier aujourd’hui dans une aire culturelle où la religion a une grande importance, celle de l’Islam.

Comprendre le processus par lequel les identités se font et se défont, saisir les ressorts psychologiques et spirituels de ces identités mais aussi les paramètres idéologiques et les contextes socio-politiques de la production de celles-ci, constituent pour notre époque un enjeu majeur de vivre ensemble, de guerre et de paix. C’est à cette réflexion approfondie, pluridisciplinaire, et en vue de donner des éclairages utiles à des décideurs et politiques qui sont souvent dénués de connaissances en ce domaine -mais dont les décisions et actions peuvent avoir sur ce même domaine des conséquences considérables – que voudrait se dédier l’Institut IDRISS crée par Charles Melman et moi-même à Fès : « Institut de recherche sur les identités sociales et subjectives ».

Faouzi Skali.

Le 1er Juillet 2015.

La Question des Identités

Idriss05La question des identités personnelle et collective est aujourd’hui la cause d’un débat qui peut prendre localement l’aspect d’un conflit armé.

Chez l’individu ce débat interroge ses devoirs et responsabilités au moment où la mondialisation procède à la levée des frontières et à de grands mouvements migratoires.

Dans la collectivité il peut justifier les tentations extrémistes dès lors qu’elle se sent menacée.

Aimée jusqu’au sacrifice de soi, l’identité peut être haïe et dénoncée comme criminelle dès lors qu’une différence l’oppose à celle estimée convenir : elle paraît potentiellement létale dans les deux cas.

Idéale aussi, c’est-à-dire capable d’inciter au meilleur, elle peut aussi refuser de reconnaître l’humanité de celui qui se distingue d’elle.

Il nous paraît utile d’en encourager l’étude – par les historiens, philosophes, théologiens, sociologues, anthropologues, littéraires, psychanalystes, liste non exhaustive – pour tenter d’éviter que la reconnaissance affirmée de soi n’ait pour condition une méconnaissance homicide d’autrui.

Les départements des sciences humaines des Universités sont invitées à travailler avec nous afin d’aboutir à faire passer dans les écoles et dans l’opinion publique les savoirs qui permettraient un traitement moins aveugle de notre rapport à l’identité.

Charles Melman

Le 17 avril 2015